LETTRE OUVERTE - Pour la création au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU d’un mécanisme dédié de surveillance et de rapports sur la situation des droits humains en République démocratique du Congo, couvrant l’ensemble du pays
Re: Pour la création au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU d’un mécanisme dédié de surveillance et de rapports sur la situation des droits humains en République démocratique du Congo, couvrant l’ensemble du pays
Genève, 5 septembre 2018
Votre excellence,
Nous, les organisations congolaises, régionales et internationales soussignées, vous adressons le présent courrier pour exhorter votre délégation à soutenir la création d’un mécanisme dédié de surveillance et de rapports sur la situation des droits humains en République démocratique du Congo couvrant l’ensemble du pays, à l’occasion de la 39ème session du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies.
Les violations et les abus des droits humains actuellement commis par les forces de sécurité congolaises et les groupes armés à travers le pays – associés à une impunité généralisée, au risque de voir éclater de nouvelles violences de masse dans les mois qui viennent, et dans un contexte d’incertitudes sur le processus électoral et de répression des droits humains – nécessitent une surveillance renforcée et dédiée des droits humains, ainsi que des rapports publics, de façon à prévenir de futures exactions et à remplir les objectifs de responsabilisation des auteurs.
La RD Congo est confrontée à une crise en matière de droits humains, alors que les autorités prennent des mesures drastiques contre le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique de ceux qui les critiquent – ces derniers soutiennent que c’est en retardant les élections et en réprimant les dissidents que le président Joseph Kabila s’est maintenu au pouvoir, au-delà des deux mandats auxquels la Constitution le limitait. Les élections sont désormais programmées pour le 23 décembre 2018. La société civile et l’opposition politique en RD Congo ont exprimé des inquiétudes sérieuses quant à la crédibilité, l’équité et l’inclusivité du processus électoral, ainsi que les risques de le voir encore retardé. Il existe une réelle menace de recrudescence de la répression et des violences politiques alors que la date fixée pour les élections approche, avec potentiellement des conséquences sur l’ensemble de cette région d’Afrique particulièrement explosive.
Du 1er au 7 août, les forces de sécurité congolaises ont utilisé du gaz lacrymogène et des tirs à balles réelles pour disperser des partisans de l’opposition politique, tuant au moins deux personnes – dont un enfant – et infligeant des blessures par balles à au moins sept autres, pendant la période de dépôt des candidatures pour les élections présidentielles. Les autorités ont également restreint les déplacements de figures de l’opposition, arrêté des dizaines de leurs partisans, et empêché un aspirant candidat à la présidence, Moïse Katumbi, d’entrer dans le pays pour déposer sa candidature.
Depuis 2015, les forces de sécurité congolaises ont tué près de 300 personnes au cours de manifestations globalement pacifiques. Les autorités congolaises ont interdit des rassemblements et des manifestations de l’opposition et d’organisations de la société civile. Des centaines de partisans de l’opposition et de militants pro-démocratie ont été emprisonnés. Beaucoup ont été enfermés dans des centres de détention secrets, sans être inculpés ni avoir accès aux membres de leurs familles ou à leurs avocats. D’autres ont été jugés et condamnés sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces. Le gouvernement a également fait fermer des médias, expulsé des journalistes et des chercheurs internationaux, et restreint périodiquement l’accès à Internet et aux SMS.
La crise en matière de droits humains est liée aux tensions politiques et aux violences en RD Congo, qui pourraient s’aggraver à mesure que la date de l’élection approche. Des groupes armés ainsi que des membres des forces de sécurité s’en sont pris aux civils dans de nombreuses régions du pays, et notamment les régions du Kasaï, du Kivu, de l’Ituri et du Tanganyika. Actuellement, près de 4,5 millions de Congolais sont déplacés de leurs foyers. Plus de 100 000 Congolais ont fui à l’étranger depuis janvier 2018, augmentant le risque de voir empirer l’instabilité de la région.
En juin, au Conseil des droits de l’Homme, l’équipe d’experts internationaux sur la région du Kasaï a présenté son rapport final, et s’est déclarée choquée par l’ampleur des violences et de la situation dramatique qui prévaut depuis 2016 en matière de droits humains. On estime que 5 000 personnes, et peut-être encore bien davantage, ont été tuées, et plus de 1,4 millions de personnes déplacées. Personne n’a encore été tenu responsable du meurtre des enquêteurs de l’ONU Michael Sharp et Zaida Catalán, en mars 2017, et de la disparition des quatre Congolais qui les accompagnaient, et seuls quelques auteurs présumés de rang subalterne ont été jugés pour les violences commises contre des Congolais dans la région. En juillet 2018, le Conseil a demandé au Haut-Commissaire pour les droits de l’Homme de déployer une équipe de deux experts internationaux des droits humains pour contrôler la mise en oeuvre par les autorités congolaises des recommandations formulées suite à l’enquête au Kasaï.
Depuis le début de l’année, les violences se sont intensifiées dans diverses parties de la province de l’Ituri, au nord-est de la RD Congo, avec des événements terrifiants impliquant massacres, viols et décapitations. Des groupes armés ont lancé des attaques meurtrières contre des villages, tuant des centaines de civils, incendié des centaines de maisons et déplacé environ 350 000 personnes.
Les groupes armés et des membres des forces de sécurité continuent également à s’en prendre aux civils dans les provinces du Kivu. Selon le Baromètre sécuritaire du Kivu, les agresseurs, parmi lesquels des membres des forces de sécurité de l’État, ont tué plus de 580 civils et enlevé au moins 940 autres au Nord et au Sud Kivu, depuis janvier 2018.
Dans la province du Tanganyika, au sud-est, plus de 200 personnes ont été tuées, 250 000 autres déplacées, et de nombreux villages et camps de personnes déplacées ont été incendiés depuis que des violences intercommunautaires ont éclaté à la mi-2016. Personne n’a encore été tenu pour responsable de ces actes, et la situation est toujours explosive.
Compte tenu de l’ampleur et de la complexité des problèmes liés aux droits humains en RD Congo, et les nombreuses régions du pays qui devraient faire l’objet d’un examen, un mécanisme dédié s’avère nécessaire, avec mandat pour couvrir l’ensemble du pays, et la capacité d’assurer une surveillance et de fournir des rapports au Conseil des droits de l’Homme, ainsi que de formuler des recommandations adressées au gouvernement de la RD Congo et à la communauté internationale, ceci dans le but de prévenir de nouvelles violations des droits humains et exactions, et de garantir que les responsabilités pour ces actes puissent être établies. Le Conseil devrait créer un tel mécanisme en septembre, pour compléter le travail mené par le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’Homme en RD Congo, et garantir un examen et des rapports adéquats sur les violations des droits humains et les exactions commises dans le contexte électoral.
Nous exhortons votre délégation à soutenir la création d’un tel mandat.
Veuillez croire, votre Excellence, à l’assurance de notre très haute considération,
11.11.11
Action pour la Restauration de la Paix et la Justice (ARPJ)
Agir Ensemble pour les Droits de l’Homme (AEDH)
Agir pour des Élections Transparentes et Apaisées (AETA)
Amnesty International
Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA)
Association Africaine de Défense des Droits de l’Homme (ASADHO)
Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ)
Association des Femmes Juristes Congolaises (AFEJUCO)
Carrefour pour la Justice, le Développement et les Droits Humains (CJHD-RDC)
CCFD – Terre Solidaire
Centre d’Observation des Droits de l’Homme et d’Assistance Sociale (CODHAS)
Centre d’Études et de Formation Populaire pour les Droits de l’Homme (CEFOP/DH)
Cercle National de Réflexion sur la Jeunesse en RDC (CNRJ-RDC)
CIVICUS: World Alliance for Citizen Participation
Commission Justice et Paix Belgique
Ecumenical Network Central Africa (OENZ)
European Network for Central Africa (EurAc)
Fastenopfer/Action de Carême
Femmes et Enfants en Détresses/Uvira et Fizi (SOS FED)
Forum réfugiés Cosi
Franciscans International
Global Centre for the Responsibility to Protect
Groupe d’Associations de Défense des Droits de l’Homme et de la Paix (GADHOP)
Groupe Lotus
Human Rights Watch
International Commission of Jurists
International Federation for Human Rights Leagues (FIDH)
International Refugee Rights Initiative (IRRI)
Justicia Asbl
La Voix des Sans Voix pour les Droits de l’Homme (VSV)
Ligue des Électeurs (LE)
Never Again Coalition
Nouvelles Dynamiques pour le Développement Rural Intégral (NODRI)
OEil des Victimes des Violations des Droits de l’Homme (OVVDH)
Pax Christi International
PMU
Protection International
Réseau des Femmes pour les Droits des Enfants et des Femmes (REFEDEF)
Réseau des Victimes de l’Insécurité au Congo (REVI Asbl)
Réseau pour la Réforme du Secteur de Sécurité et Justice (RRSSJ)
SAPI
Secours Catholique – Caritas France
The African Centre for Democracy and Human Rights Studies (ACDHRS)
The Enough Project
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World Organisation Against Torture (OMCT)